Ça plane pour elle !

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Danielle Décuré © DR
L’aviation a longtemps été un bastion masculin. Si aujourd’hui, l’ensemble des métiers de l’aéronautique est accessible aux femmes, c’est notamment grâce à des pionnières comme Danielle Décuré. Pour conquérir ses galons de commandant de bord, cette brillante étudiante, née en 1942 à Bourg-en-Bresse dans une famille modeste, a franchi mille obstacles.

 « “Vous avez vu le pilote ?... C’est une femme !”, cette remarque étonnée – quelquefois sympathique, le plus souvent réprobatrice et inquiète –, Danielle Décuré l’a entendue des centaines de fois de la bouche des passagers qui pénétraient dans l’Airbus qu’elle pilotait. Comme si c’était inconscience ou folie de remettre plusieurs dizaines de vies humaines entre les mains d’une faible femme. » Ces mots issus du résumé de la quatrième de couverture de son livre publié en 1982 aux éditions Robert Laffont illustrent parfaitement la dure bataille qu’elle a dû mener pour s’imposer dans cet univers longtemps réservé aux hommes et pour conquérir sa place de pilote. L’histoire débute en 1942 à la maternité de Bourg-en-Bresse. Seconde fille de Marie-Joséphine Grabit et de Roger Décuré, petite-fille des propriétaires de la boulangerie Grabit installée place Joubert à Bourg, Danielle n’a eu de cesse de se construire, malgré les obstacles, un destin de femme libre en devenant la première femme commandant de bord de l’aviation civile française. 

Premier envol

Rien, si ce n’est une grande intelligence et une volonté de fer, ne prédestinait cette fille d’ouvrier tuyauteur sur les barrages EDF à un tel parcours. Pour suivre les chantiers, la famille quitte Bourg pour Bellegarde-sur-Valserine, puis Castellane (Hautes-Alpes)... avant de poser définitivement ses valises à Romans-sur-Isère (Drôme). Danielle et ses trois sœurs reçoivent une éducation classique et studieuse : « Nous étions de bonnes élèves, nous empilions les prix le jour de la distribution », se souvient Danielle Décuré. Bien décidée à sortir de sa classe sociale et à réaliser son rêve « être pilote », elle mène pendant des années un combat quotidien pour arriver à ses fins. Sa formidable épopée débute en 1959. En lisant le Dauphiné libéré, elle découvre que l’aéro-club de Romans-sur-Isère invite les lycéens à un baptême de l’air gratuit. Ni une ni deux, elle enfourche son vélo. File au terrain d’aviation, situé à quelques kilomètres, pour effectuer son baptême de l’air dans un planeur biplace. Ce vol qui a décidé de sa vie est un enchantement. « De retour sur terre, ivre d’émotions », Danielle n’a qu’une idée en tête : revoler.  

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Danielle Décuré de retour à l’aéro-club de Romans © AGI
L'appel du ciel

Pour apprendre à piloter, elle s’inscrit à l’aéro-club de Romans. Problème : ses parents n’ont pas les moyens de financer sa passion. Danielle paye ses heures de vol en donnant des cours particuliers, en nettoyant les avions de l’aéro-club... Mais ses revenus sont maigres et les décollages trop rares. Bac Math Elem en poche, elle rejoint la faculté de Grenoble. Bénéficiaire d’une bourse d’études, elle économise au maximum pour tutoyer les nuages : « J’aimais voler, chaque vol m’apportait ma dose de solitude, de beauté, de peur. C’était ma drogue. » Malgré un crash de planeur dont elle sort indemne, son enthousiasme reste intact. En 1960, elle obtient le brevet élémentaire de pilote privé d'avion, décide de passer le concours d’entrée à l’École nationale de l’aviation civile (ENAC), l’école des futurs pilotes de ligne. Horreur, malheur ! Pour se présenter, il faut être de sexe masculin. Danielle est anéantie, mais s’accroche à son rêve comme l'ont fait avant elle les aviatrices Hélène Boucher, Maryse Bastié... Entrer à l'ENAC signifiait être payé pour voler. Il lui faut donc trouver l’argent pour accumuler les heures de vol et continuer à avancer.

En 1965, elle vainc le mauvais sort, entre dans l’aviation « par la petite porte puisqu’on lui avait claqué la grande au nez. » Après s’être vu refuser la bourse de la Vocation aérienne, Danielle Décuré remporte, en 1967, la coupe Hélène Dutrieu-Mortier*, compétition longue distance sur avion de tourisme, réservée aux pilotes françaises et belges, et les 10 000 francs de dotation : « Cet argent ​représentait la condition de ma survie aérienne. » Auditeur libre à l’université, elle décroche les brevets de pilote professionnelle après avoir bûché toute seule les examens théoriques et payé les stages en centres nationaux. « Les pilotes d’Air France (à l'époque pour être pilote, il faut être de sexe masculin) ne voulant pas partager leur gâteau avec moi, j’allais gagner mon pain dans mon aéro-club de montagne. » Victime d’un accident de la route, Danielle Décuré échappe, quinze jours plus tard, à la mort dans un accident d'avion. Quel destin !  

Toujours plus haut
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Danielle Décuré (à droite), inauguration de l’uniforme des pilotes de sexe féminin d’Air France. © France Soir, C. Poensin-Burat

Devenue copilote chez Dassault sur Mystère 20, le taxi volant de luxe pour hommes d’affaires, chefs d’État..., elle coud, le 1er avril 1971, un 4e galon sur sa veste. La voilà commandant de bord, moins de deux ans après son premier vol sur Mystère 20. Mais son insatiable envie d’entrer dans une grande compagnie de transports internationaux la tenaille toujours. En 1973, l'horizon s’éclaircit, la condition « avoir un sexe masculin » est enfin gommée. Air France ouvre un concours réservé aux pilotes professionnels de première classe, avec expérience dans le 3e niveau. Reçue, Danielle devient en 1974 la première femme pilote de ligne à la compagnie nationale et par la même occasion à l'Aéropostale de nuit. Auréolée de ses nouvelles fonctions, elle est même conviée à un repas à l’Élysée par le président de la République Valéry Giscard d'Estaing. Après trois ans de Postale, elle passe pilote de Caravelle avant d'être lâchée sur Airbus. En 1980, elle décroche le brevet de pilote de ligne : l’aboutissement de vingt ans de lutte pour l’égalité des sexes et des chances. « Je crois avoir réussi à vivre en harmonie avec mes goûts et mes désirs, c'est là seulement que je situe ma réussite », conclut-elle dans les dernières pages de son livre.  

À noter : toutes les citations sont extraites du livre Vous avez vu le pilote ? C'est une femme ! sortit en 1982 aux éditions Robert Laffont.  

* première femme brevetée pilote par l’Aéro-club de Belgique

Diaporama

Présentation

  • Nom : Décuré
  • Prénom : Danielle
  • Née en 1942 à Bourg-en-Bresse
  • Première femme pilote de ligne de l’aviation civile française

Sa vision de la femme

« Il arrivera bien un jour où les filles vivront leur vie à elle en fonction de leurs goûts propres, au lieu de la subir selon une voie toute tracée. » Citation de Danielle Décuré extraite de son livre Vous avez vu le pilote ? C’est une femme !, édité en 1982 chez Robert Laffont.